Interview pour Ride magazine (UK) - 2003
par Daniel Mani, intro Lotfi Hammadi, photo Manu Sanz
Un grand homme
(enfin je suppose) a dit : « Qu'on parle en bien ou qu'on parle en
mal mais qu'on parle de moi ». Je ne suis pas très sûr de la citation mais
le sens y est. Ce serait un peu la devise d'Alain. Il est l'un des personnages
les plus controversés du BMX français. Aimé par les uns et détesté par les
autres (être un flatlander est déjà assez difficile dans ce monde d'ados
post-pubères en mal de révoltes qu'est le bmx français). Mais le personnage
d'Alain, parce que c'est un personnage, est une vrai boule de nerf. Et
c'est là qu'est sa force. On pourra dire ce que l'on voudra, il a bougé son cul
pour le bmx. Pas tout le temps dans la réussite mais il fallait bien que
quelqu'un se plante pour que les autres y arrivent. Tout le temps en
suractivité (pas besoin de substance illicite, son corps en produit
naturellement), il touche à tous les domaines liés au bmx avec souvent un temps
d'avance.
Voilà ce que je
peux vous esquisser du personnage. A vous de découvrir le phénomène "Alain
MEXICOS Massabova"...
Carte d’identité.
Alain Massabova, 31 ans,
parisien, flatlander…
Arrives -tu à te souvenir quand tu as commencé ?
Bien-sûr, comme si c’était
hier, il y a de ça 18 ans… J’ai grandi dans les cités du 19ème à Paris, les
mauvais quartiers. Un jour de septembre 1985, en échange d’une raquette de
tennis, on m'a donné un vélo, un
bmx à suspension. Je savais même pas pédaler! C’était à la grande époque du
bmx, la vague d’ET, Eddy Fiola, les Mad Dog, Bercy… et pour moi, c’était un
vrai défi. Un véritable choc, un cadeau du ciel, c’était ma voie, ma destinée.
J’ai rencontré Lotfi et je n’ai plus jamais arrêté.
Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire du flat ?
J’ai commencé par faire du bmx,
à l’époque tout était mélangé, j’étais un freestyler avant tout. Le street,le flat, le dirt, la rampe tout ça, ça ne
faisait qu’une discipline, le bmx. Il n’y a que la race qui ne soit pas du
freestyle. Et après avoir tout essayé, le flat me ressemblait le plus. C’était
aussi le plus simple pour un parisien, j’avais trouvé mon mode d’expression. Et
puis, j’étais fan de José Delgado…
Mexicos, pourquoi ce nom à la con ?
Ça date de 1988 à l’époque du
fluo flash fun, où un bon rider était surtout un beau rider. Et nous, avec Lotfi, on misait plus sur le
riding avec nos gueules basanées, le duvet qui persiste... Les vélos et les
vêtements de toutes les couleurs, c’était trop pour l’époque. On nous a
catalogué, limite insulté en nous lançant :“c’est quoi ces Mexicos“. On a
prit ça mal, puis on s’y est habitué, et on a gardé ce nom. On s’en est même
servi pour s’exprimer et faire des choses pour le bmx. C’était comme un
défi, alors on l’a relevé, car on
aime les défis…
Qu’est-ce que la vie d’un flatlander à Paris ?
Nous avons toujours eu la
chance de ne pas être isolés, mais on souffre beaucoup du sale temps et du
manque de spots. Il n’y a pas de réel spot de flat à Paris. En ce moment on
squatte une galerie marchande, mais ça ne va pas durer. C’est une vraie galère.
Il y a aussi l’égocentrisme qui est une véritable épidémie à Paris. Ma vie
n’est pas représentative des autres flatlanders parisiens qui font du flat
après le boulot ou de ceux qui n’ont que ça à faire, mon temps de riding est
assez saccadé. Être flatlander à Paris, c’est pas aussi facile qu’on le croit.
Qui est à l’origine des Mexicos ?
L’insulte vient d’un pote du
15ème de Paris, puis Armen un des pilier du bmx français, l’a médiatisé. Avec
l’aide de Lotfi, j’ai créé une sorte d’univers autour de ça. A l’àrigine, cest
Lotfi, mon frère et moi qui avons porté ce surnom. D’autres, sont venus par la
suite.
As -tu toujours fait du flat ?
Je me suis essayé dans le
street mais je suis un flatlander avant tout. Je n’ai jamais dévié de ma
direction.
Tu n’as jamais eu envie de faire des back-flips, comme les
grands ?
J’aime le street, le dirt, la
rampe, j’aurais aimé voler comme Mat. Mais le flat est ma religion et je ne
pense pas être assez fou pour avoir un bon niveau dans les autres disciplines.
J’avoue tout de même être très attiré par le bowl de Marseille… Peut-être plus
tard, quand je n’aurai plus le temps de me prendre la tête sur des
enchaînements, ou si vraiment j’en ai marre, je passerai aux sensations fortes
immédiates, comme en street. Mais faut aussi savoir se jeter…
Comment définirais-tu ton style de riding ?
Le riding reflète la
personnalité. Je n’essaye pas de faire toutes les figures, ou de suivre la
mode. Je me fais plaisir avant tout. Mon style, c’est les spinning tricks, j’aime quand ça claque, quand
c’est flow. Je n'aime pas trop faire de tricotage, pour moi c'est un peu de la
poudre aux yeux, je préfère être rapide et efficace. Mon inspiration, c’est
Chase et le style de Matti Röse, des japs, surtout Yanmer…
Que penses-tu de l’évolution qu’a connu le bmx depuis ces
20 dernières années ?
Une véritable révolution ! A
tous les niveaux, le matos, le riding, les mentalités, le business. Tout ça a
énormément évolué. Pas forcément tous
dans le bon sens. Ce qui est sûr, c’est que c’est plus facile de faire
du bmx aujourd’hui, les structures, les médias et le matos sont plus
avantageux, par contre, le niveau est vraiment élevé. Il ne suffit plus d’être
« fort », il faut aussi, et surtout, être original, avoir son propre
style et savoir s’imposer.
Tu es connu en
France pour aussi être quelqu’un qui s’investit dans des événements et Cream,
ça représente combien de ton temps ?
Je suis dans le bmx à 100%, le
riding ne représente que la moitié de ce temps. Mes autres activités sont directement et purement liées au bmx.
Je dirige le magazine Cream, les évènements (King of Paca…), je fais un peu de
distribution avec le Japon et les USA, je bosse avec des shops (Kustom,
Artzone). Tout ça me prend vraiment beaucoup de temps. C’est un tout. Mais pour
moi, je ne fais que du bmx, je ne vois pas le temps passer. Je ne compte pas.
De quoi vis-tu, avec tout ce que tu fais tu dois être
millionnaire ?
Pour gagner ma vie normalement
et vivre bien, sans plus, je dois faire énormément de choses. Je fais des
choses pour le développement du bmx, sans vraiment compter, par la force des choses,
et tout se regroupe. C’est à dire que j’ai commencé par être un rider en pro et
j’ai fait un magazine de bmx parce qu’il n’y en avait pas en France à l’époque
(maintenant, c’est le contraire).
Puis j’ai organisé des contests pour les mêmes raisons et avec tous ces
contacts, j’étais bien placé pour monter un shop et importer des pièces. Tout
s’est fait naturellement, je ne me rends pas toujours compte de tout ce
travail. Mais ce n’est pas ce qui me rapporte le plus. Ce sont les évènements,
les sponsors et les démos qui me font vivre, le magazine n’est qu’une vitrine
qui regroupe le tout. Ça reste tout de même modeste, il n’y a pas d’argent dans
le bmx et si je voulais être riche, je ferais tout autre chose, du style dealer
ou mac! Je ne suis donc pas millionnaire, ce n’est pas avec le bmx que je le
deviendrai et ça me convient.
Et puis, j’essaie de faire les
choses bien car l’image dans ce milieu est ce qu’il y a de plus important,
c’est ce qui fait la longévité, le long terme. Ceux qui veulent vraiment
gagnent beaucoup d’argent en France n’ont plus de figure. Et inversement, c’est
souvent les petites identités qui ont une bonne image.
Et puis, je pense que gagner beaucoup d’argent même
honnêtement, donne une mauvaise image. La réussite n’est pas toujours
appréciée, on appelle ça de la jalousie, l'envie… Faut savoir gérer.
As-tu le temps de rouler comme tu le voudrais ?
Non, j’aimerais rouler plus
mais ce n’est pas grave car je travaille pour le bmx, c’est une façon de rider, un peu ma contribution. J'essaye
de rendre au bmx ce qu’il me donne. Le bonheur que m’a apporté cette passion a
un prix, celui de l’investissement. J’ai ridé pendant 10 ans, pendant mes
études, comme je voulais, maintenant je ride les week-ends ou pendant les
contests et les démos.
Mais je trouve aussi que c’est
peut-être pour ça que j’ai toujours gardé l’envie. Même si je pouvais rouler
tous les jours, je ne le ferais pas car je me lasserais. J’aime faire plein de
choses. Ma vie d’aujourd’hui me convient finalement.
Comment en es-tu venu à bosser avec Manu Sanz, que
penses-tu de ce gars ?
Mr Manu Sanz m’avais proposé
ses photos à l’époque où je faisais le fanzine Bmxicos. Le jour où j’ai monté
Cream, je lui ai proposé l’aventure et il a accepté. Il apporte énormément, son
côté artiste colle parfaitement à mon côté de technicien. Nous sommes assez
d’accord sur la façon de faire un magazine, même si nous ne mangeons pas la
même chose ! Il a ouvert la voie
vers la photo artistique dans le bmx. On lui doit tous beaucoup. Il
devrait y avoir une sorte de taxe pour Manu Sanz, un impôt pour les
artistes/créateurs comme Mat Hoffman, Kevin Jones...
Que penses-tu de la situation en France, les français
sont-ils sur la bonne voie selon toi ?
Ça semble mal barré. Nous ne sommes pas assez unis. Le
riding n’est pas assez original, nous n’inventons rien, n’apportons rien. Même
s’il y a un bon niveau, nous ne sortons pas du lot. Pourtant les autres pays
nous montrent l’exemple. Tant au niveau riding qu’au niveau business, c’est pas
vraiment l’harmonie. On se rentre dedans. Les riders se copient entre eux sans
vraiment avancer. Et celui qui a la chance de réussir, d’autres essayeront de
prendre sa place. Un petit pays comme la France a autant de magazines que les
USA, avec un marché 100 fois plus petit : ça montre la mentalité. A part
une ou deux exceptions, les français ont peur de s’investir, de créer ; ça
demande un effort, un risque, alors on suit bêtement…
L’originalité… ?
Oui, c’est quelque chose de très important pour moi,
c’est la seule façon de rentrer dans l’histoire. J’aime l’originalité, car
c’est ce qu’on retient même après la mort, ça rend immortel ! Que ce soit
du riding ou une autre forme d’expression, ce qui fait avancer, ce sont les
créateurs. Aujourd’hui, si on avance pas, on recule…
L’évolution du flat a-t-elle des limites ?
Non, les limites sont celles
que nous lui donneront car les possibilités sont infinies. Les limites sont
souvent dans la tête. Le flat d’aujourd’hui, celui de Kevin Jones, est
incroyable, on a depuis longtemps dépassé la théorie. Des figures comme les
spinnings ou kick flips sont la preuve que tout est possible. Je pense que la
limite à ne pas dépasser est celle du cirque et du ridicule : il ne faut
surtout pas qu’on nous prenne pour des clowns, sinon c’est la mort. Les figures en pédalant avec un pignon fixe
ou les équilibres, style bar stand, c’est impressionnant mais c’est pas ma
façon de voir le flat, ce n’est pas une évolution, ça existe depuis toujours
dans les cirques. Attention aux faux-pas !
Qui a été le plus
influent, ou le plus créatif en flat selon toi (à part Woody Bonnot) ?
Le dieu du flat c’est Kevin, le créateur mais Chase Gouin
est celui qui a propagé cette religion. Martti Kuoppa prend la relève. Il est
le nouveau créateur, il lance les tendances. Viki, Simon O’brien, Akira,
Nathan, Yanmar, Matti Röse sont les plus créatifs et montrent la nouvelle voie
du flat.
Comment vois-tu l’évolution du business, penses-tu qu’en
Europe on puisse imaginer vivre décemment dans le milieu du bmx jusqu’à la retraite
?
C’est possible, mais pour avoir
un petit peu, il faut donner beaucoup. Mat Hoffman est un exemple. Il ne faut
pas compter s’enrichir, à part des exceptions comme Mirra. L’Europe a beaucoup
de richesse mais nous n’avons pas cette culture américaine. Le bmx en Europe
n’est pas un business rentable. Il
faut vraiment être passionné pour s’y mettre, surtout en France. Je ne pense
pas qu’on puisse vivre décemment du bmx en France et encore moins jusqu’à la
retraite, L’Allemagne, l’Angleterre, et aussi la Hollande sont bien en avance sur nous. Il manque une
certaine harmonie entre les différentes activités. Quand nous serons unis, nous
pourrons prétendre à vivre du bmx.
Les contests
sont-ils nécessaires pour l’évolution du sport ?
Dans le fond, je n’aime pas trop les contests, mais
j’avoue que c’est vraiment nécessaire pour notre évolution. La compétition fait
avancer les choses, surtout le niveau. Pour moi les contests c’est avant tout
se retrouver entre riders, en famille. C’est plutôt l’esprit de compétition que
je déplore. Il faut bien reconnaître aussi que les contests comme les X-games
font beaucoup de pub pour le bmx, c’est bon pour le développement du sport. Ce
que je préfère avant tout dans une compétition, c’est la fête, c’est vraiment
mon truc (mais c’est pas ce qui fait évoluer…).
Serais-tu capable
de vivre sans portable (ordi et phone) ?
Bien sûr que non ! Je suis rédacteur en chef et je
fais donc le magazine qu’à travers des e-mail et par téléphone. Je branche mon
portable sur internet partout où je vais…
Quelques anecdotes
de fou après toutes ces années ?
Des tonnes…Je pense que le meilleur souvenir c’est
sûrement la soirée du premier Fise dans la boîte la Notte. C’était le plus beau
bordel auquel j’ai participé, une délivrance, un symbole en même temps. C’est
le jour où on a sorti la tête de l’underground. On s’est vraiment lâché.
Imaginé toute la crème du bmx à poil, tout le monde se jetait dans tous les
sens, la démo qui tourne mal, Uriel au micro… C’est ce qui a fait la magie de
Palavas, c’est inoubliable. Maintenant que le Fise a vendu son âme, c’est sur
le King of Paca que je jette mon dévolu…
Après tout ce
temps, as-tu des regrets ? Recommencerais-tu ? Si tu pouvais,
choisirais tu d’évoluer dans un milieu où il y a plus d’argent ?
La seule chose que je regrette, c’est de ne plus pouvoir
casser le bungalow de Palavas. Sinon, je refoncerais tête baissée. Même mes
erreurs m’ont beaucoup apporté, je recommencerai sans hésiter. Plus d’argent
n’aurait pas forgé mon expérience et n’aurait donc pas fait celui que je suis
aujourd’hui. Car grâce au bmx, j’existe, je m’exprime, je suis quelqu’un :
je fais du bmx donc je suis… Tout l’or du monde n’offre pas forcément cette
notion d’existence, au contraire, c’est la galère qui m’a tout appris.
Arrives-tu à
imaginer ta vie sans avoir connu le bmx en fait ?
Je pense que le bmx m’a sauvé de beaucoup de chose, comme
la délinquance, la timidité. Je n’arrive vraiment pas du tout à imaginer ma vie
sans le bmx. Tous mes souvenirs sont liés au bmx. Je dois lui tout et j’espère
pouvoir en être reconnaissant.
Quel est ton
but ?
Boucler la boucle puis acheter une grande maison en
Provence pour ma famille. Et, surtout, ouvrir un bar et être barman…
Messages
Toutes mes réponses sont
remplies de messages. Néanmoins, toutes les personnes qui ont voulu me faire du
mal se retournent aujourd’hui dans leurs tombes : la nature fait très bien
les choses, méfiez-vous !
Peace and love…
Remerciements
Tous les bmx riders, tous ceux que j’ai croisé dans ma
vie, mes amis, mes ennemis qui me font avancer, ma famille qui a besoin de moi,
toute l’équipe de Cream, Manu Sanz, Daniel, David, Artzone, Bérengère, Van
Hanja, Antoine, le crew Kustom Culture, les Mexicos, en particulier Lotfi, les
Twenty : Alex et Tonton, Vans, Carhartt, Wethepeople, Quamen, les
Marseillais : William et le Yo, les Coste bros, Nadir et ma future femme
Diane sans oublier Babette qui ronfle… Merci à tous.