BMX pro rider (Flatland) since 1986 (Mexicos team leader)
Publisher and editor of BMX magazines and books (Cream, A.R.T...)
BMX teacher for Paris BMX School association
Team manager and Event organizer

itw pour RIDE magazine (UK)


Interview pour Ride magazine (UK) - 2003
par Daniel Mani, intro Lotfi Hammadi, photo Manu Sanz



Un grand homme (enfin je suppose) a dit : « Qu'on parle en bien ou qu'on parle en mal mais qu'on parle de moi ». Je ne suis pas très sûr de la citation mais le sens y est. Ce serait un peu la devise d'Alain. Il est l'un des personnages les plus controversés du BMX français. Aimé par les uns et détesté par les autres (être un flatlander est déjà assez difficile dans ce monde d'ados post-pubères en mal de révoltes qu'est le bmx français). Mais le personnage d'Alain, parce que c'est  un personnage, est une vrai boule de nerf. Et c'est là qu'est sa force. On pourra dire ce que l'on voudra, il a bougé son cul pour le bmx. Pas tout le temps dans la réussite mais il fallait bien que quelqu'un se plante pour que les autres y arrivent. Tout  le temps en suractivité (pas besoin de substance illicite, son corps en produit naturellement), il touche à tous les domaines liés au bmx avec souvent un temps d'avance.
Voilà ce que je peux vous esquisser du personnage. A vous de découvrir le phénomène "Alain MEXICOS Massabova"...

Carte d’identité.
Alain Massabova, 31 ans, parisien, flatlander…

Arrives -tu à te souvenir quand tu as commencé ?
Bien-sûr, comme si c’était hier, il y a de ça 18 ans… J’ai grandi dans les cités du 19ème à Paris, les mauvais quartiers. Un jour de septembre 1985, en échange d’une raquette de tennis, on m'a donné un  vélo, un bmx à suspension. Je savais même pas pédaler! C’était à la grande époque du bmx, la vague d’ET, Eddy Fiola, les Mad Dog, Bercy… et pour moi, c’était un vrai défi. Un véritable choc, un cadeau du ciel, c’était ma voie, ma destinée. J’ai rencontré Lotfi et je n’ai plus jamais arrêté.

Qu’est-ce qui t’a donné envie de faire du flat ?
J’ai commencé par faire du bmx, à l’époque tout était mélangé, j’étais un freestyler avant tout. Le street,le  flat, le dirt, la rampe tout ça, ça ne faisait qu’une discipline, le bmx. Il n’y a que la race qui ne soit pas du freestyle. Et après avoir tout essayé, le flat me ressemblait le plus. C’était aussi le plus simple pour un parisien, j’avais trouvé mon mode d’expression. Et puis, j’étais  fan de José Delgado…

Mexicos, pourquoi ce nom à la con ?
Ça date de 1988 à l’époque du fluo flash fun, où un bon rider était surtout  un beau rider. Et nous, avec Lotfi, on misait plus sur le riding avec nos gueules basanées, le duvet qui persiste... Les vélos et les vêtements de toutes les couleurs, c’était trop pour l’époque. On nous a catalogué, limite insulté en nous lançant :“c’est quoi ces Mexicos“. On a prit ça mal, puis on s’y est habitué, et on a gardé ce nom. On s’en est même servi pour s’exprimer et faire des choses pour le bmx. C’était comme un défi,  alors on l’a relevé, car on aime les défis…

Qu’est-ce que la vie d’un flatlander à Paris ?
Nous avons toujours eu la chance de ne pas être isolés, mais on souffre beaucoup du sale temps et du manque de spots. Il n’y a pas de réel spot de flat à Paris. En ce moment on squatte une galerie marchande, mais ça ne va pas durer. C’est une vraie galère. Il y a aussi l’égocentrisme qui est une véritable épidémie à Paris. Ma vie n’est pas représentative des autres flatlanders parisiens qui font du flat après le boulot ou de ceux qui n’ont que ça à faire, mon temps de riding est assez saccadé. Être flatlander à Paris, c’est pas aussi facile qu’on le croit.

Qui est à l’origine des Mexicos ?
L’insulte vient d’un pote du 15ème de Paris, puis Armen un des pilier du bmx français, l’a médiatisé. Avec l’aide de Lotfi, j’ai créé une sorte d’univers autour de ça. A l’àrigine, cest Lotfi, mon frère et moi qui avons porté ce surnom. D’autres, sont venus par la suite.

As -tu toujours fait du flat ?
Je me suis essayé dans le street mais je suis un flatlander avant tout. Je n’ai jamais dévié de ma direction.

Tu n’as jamais eu envie de faire des back-flips, comme les grands ?
J’aime le street, le dirt, la rampe, j’aurais aimé voler comme Mat. Mais le flat est ma religion et je ne pense pas être assez fou pour avoir un bon niveau dans les autres disciplines. J’avoue tout de même être très attiré par le bowl de Marseille… Peut-être plus tard, quand je n’aurai plus le temps de me prendre la tête sur des enchaînements, ou si vraiment j’en ai marre, je passerai aux sensations fortes immédiates, comme en street. Mais faut aussi savoir se jeter…

Comment définirais-tu ton style de riding ?
Le riding reflète la personnalité. Je n’essaye pas de faire toutes les figures, ou de suivre la mode. Je me fais plaisir avant tout. Mon style,  c’est les spinning tricks, j’aime quand ça claque, quand c’est flow. Je n'aime pas trop faire de tricotage, pour moi c'est un peu de la poudre aux yeux, je préfère être rapide et efficace. Mon inspiration, c’est Chase et le style de Matti Röse, des japs, surtout Yanmer…

Que penses-tu de l’évolution qu’a connu le bmx depuis ces 20 dernières années ?
Une véritable révolution ! A tous les niveaux, le matos, le riding, les mentalités, le business. Tout ça a énormément évolué. Pas forcément tous  dans le bon sens. Ce qui est sûr, c’est que c’est plus facile de faire du bmx aujourd’hui, les structures, les médias et le matos sont plus avantageux, par contre, le niveau est vraiment élevé. Il ne suffit plus d’être « fort », il faut aussi, et surtout, être original, avoir son propre style et savoir s’imposer.

Tu es connu en France pour aussi être quelqu’un qui s’investit dans des événements et Cream, ça représente combien de ton temps ?
Je suis dans le bmx à 100%, le riding ne représente que la moitié de ce temps. Mes  autres activités sont directement et purement liées au bmx. Je dirige le magazine Cream, les évènements (King of Paca…), je fais un peu de distribution avec le Japon et les USA, je bosse avec des shops (Kustom, Artzone). Tout ça me prend vraiment beaucoup de temps. C’est un tout. Mais pour moi, je ne fais que du bmx, je ne vois pas le temps passer. Je ne compte pas.

De quoi vis-tu, avec tout ce que tu fais tu dois être millionnaire ?
Pour gagner ma vie normalement et vivre bien, sans plus, je dois faire énormément de choses. Je fais des choses pour le développement du bmx, sans vraiment compter, par la force des choses, et tout se regroupe. C’est à dire que j’ai commencé par être un rider en pro et j’ai fait un magazine de bmx parce qu’il n’y en avait pas en France à l’époque (maintenant, c’est le  contraire). Puis j’ai organisé des contests pour les mêmes raisons et avec tous ces contacts, j’étais bien placé pour monter un shop et importer des pièces. Tout s’est fait naturellement, je ne me rends pas toujours compte de tout ce travail. Mais ce n’est pas ce qui me rapporte le plus. Ce sont les évènements, les sponsors et les démos qui me font vivre, le magazine n’est qu’une vitrine qui regroupe le tout. Ça reste tout de même modeste, il n’y a pas d’argent dans le bmx et si je voulais être riche, je ferais tout autre chose, du style dealer ou mac! Je ne suis donc pas millionnaire, ce n’est pas avec le bmx que je le deviendrai et ça me convient.
Et puis, j’essaie de faire les choses bien car l’image dans ce milieu est ce qu’il y a de plus important, c’est ce qui fait la longévité, le long terme. Ceux qui veulent vraiment gagnent beaucoup d’argent en France n’ont plus de figure. Et inversement, c’est souvent les petites identités qui ont une bonne image.
Et  puis, je pense que gagner beaucoup d’argent même honnêtement, donne une mauvaise image. La réussite n’est pas toujours appréciée, on appelle ça de la jalousie, l'envie… Faut savoir gérer.

As-tu le temps de rouler comme tu le voudrais ?
Non, j’aimerais rouler plus mais ce n’est pas grave car je travaille pour  le bmx, c’est une façon de rider, un peu ma contribution. J'essaye de rendre au bmx ce qu’il me donne. Le bonheur que m’a apporté cette passion a un prix, celui de l’investissement. J’ai ridé pendant 10 ans, pendant mes études, comme je voulais, maintenant je ride les week-ends ou pendant les contests et les  démos.
Mais je trouve aussi que c’est peut-être pour ça que j’ai toujours gardé l’envie. Même si je pouvais rouler tous les jours, je ne le ferais pas car je me lasserais. J’aime faire plein de choses. Ma vie d’aujourd’hui me convient finalement.

Comment en es-tu venu à bosser avec Manu Sanz, que penses-tu de ce gars ?
Mr Manu Sanz m’avais proposé ses photos à l’époque où je faisais le fanzine Bmxicos. Le jour où j’ai monté Cream, je lui ai proposé l’aventure et il a accepté. Il apporte énormément, son côté artiste colle parfaitement à mon côté de technicien. Nous sommes assez d’accord sur la façon de faire un magazine, même si nous ne mangeons pas la même chose ! Il a ouvert la voie  vers la photo artistique dans le bmx. On lui doit tous beaucoup. Il devrait y avoir une sorte de taxe pour Manu Sanz, un impôt pour les artistes/créateurs comme Mat Hoffman, Kevin Jones...

Que penses-tu de la situation en France, les français sont-ils sur la bonne voie selon toi ?
Ça semble mal barré. Nous ne sommes pas assez unis. Le riding n’est pas assez original, nous n’inventons rien, n’apportons rien. Même s’il y a un bon niveau, nous ne sortons pas du lot. Pourtant les autres pays nous montrent l’exemple. Tant au niveau riding qu’au niveau business, c’est pas vraiment l’harmonie. On se rentre dedans. Les riders se copient entre eux sans vraiment avancer. Et celui qui a la chance de réussir, d’autres essayeront de prendre sa place. Un petit pays comme la France a autant de magazines que les USA, avec un marché 100 fois plus petit : ça montre la mentalité. A part une ou deux exceptions, les français ont peur de s’investir, de créer ; ça demande un effort, un risque, alors on suit bêtement…

L’originalité… ?
Oui, c’est quelque chose de très important pour moi, c’est la seule façon de rentrer dans l’histoire. J’aime l’originalité, car c’est ce qu’on retient même après la mort, ça rend immortel ! Que ce soit du riding ou une autre forme d’expression, ce qui fait avancer, ce sont les créateurs. Aujourd’hui, si on avance pas, on recule…

L’évolution du flat a-t-elle des limites ?
Non, les limites sont celles que nous lui donneront car les possibilités sont infinies. Les limites sont souvent dans la tête. Le flat d’aujourd’hui, celui de Kevin Jones, est incroyable, on a depuis longtemps dépassé la théorie. Des figures comme les spinnings ou kick flips sont la preuve que tout est possible. Je pense que la limite à ne pas dépasser est celle du cirque et du ridicule : il ne faut surtout pas qu’on nous prenne pour des clowns, sinon  c’est la mort. Les figures en pédalant avec un pignon fixe ou les équilibres, style bar stand, c’est impressionnant mais c’est pas ma façon de voir le flat, ce n’est pas une évolution, ça existe depuis toujours dans les cirques. Attention aux faux-pas !

Qui a été le plus influent, ou le plus créatif en flat selon toi (à part Woody Bonnot) ?
Le dieu du flat c’est Kevin, le créateur mais Chase Gouin est celui qui a propagé cette religion. Martti Kuoppa prend la relève. Il est le nouveau créateur, il lance les tendances. Viki, Simon O’brien, Akira, Nathan, Yanmar, Matti Röse sont les plus créatifs et montrent la nouvelle voie du flat.

Comment vois-tu l’évolution du business, penses-tu qu’en Europe on puisse imaginer vivre décemment dans le milieu du bmx jusqu’à la retraite ?
C’est possible, mais pour avoir un petit peu, il faut donner beaucoup. Mat Hoffman est un exemple. Il ne faut pas compter s’enrichir, à part des exceptions comme Mirra. L’Europe a beaucoup de richesse mais nous n’avons pas cette culture américaine. Le bmx en Europe n’est pas un  business rentable. Il faut vraiment être passionné pour s’y mettre, surtout en France. Je ne pense pas qu’on puisse vivre décemment du bmx en France et encore moins jusqu’à la retraite, L’Allemagne, l’Angleterre, et aussi la  Hollande sont bien en avance sur nous. Il manque une certaine harmonie entre les différentes activités. Quand nous serons unis, nous pourrons prétendre à vivre du bmx.

Les contests sont-ils nécessaires pour l’évolution du sport ?
Dans le fond, je n’aime pas trop les contests, mais j’avoue que c’est vraiment nécessaire pour notre évolution. La compétition fait avancer les choses, surtout le niveau. Pour moi les contests c’est avant tout se retrouver entre riders, en famille. C’est plutôt l’esprit de compétition que je déplore. Il faut bien reconnaître aussi que les contests comme les X-games font beaucoup de pub pour le bmx, c’est bon pour le développement du sport. Ce que je préfère avant tout dans une compétition, c’est la fête, c’est vraiment mon truc (mais c’est pas ce qui fait évoluer…).

Serais-tu capable de vivre sans portable (ordi et phone) ?
Bien sûr que non ! Je suis rédacteur en chef et je fais donc le magazine qu’à travers des e-mail et par téléphone. Je branche mon portable sur internet partout où je vais…

Quelques anecdotes de fou après toutes ces années ?
Des tonnes…Je pense que le meilleur souvenir c’est sûrement la soirée du premier Fise dans la boîte la Notte. C’était le plus beau bordel auquel j’ai participé, une délivrance, un symbole en même temps. C’est le jour où on a sorti la tête de l’underground. On s’est vraiment lâché. Imaginé toute la crème du bmx à poil, tout le monde se jetait dans tous les sens, la démo qui tourne mal, Uriel au micro… C’est ce qui a fait la magie de Palavas, c’est inoubliable. Maintenant que le Fise a vendu son âme, c’est sur le King of Paca que je jette mon dévolu…

Après tout ce temps, as-tu des regrets ? Recommencerais-tu ? Si tu pouvais, choisirais tu d’évoluer dans un milieu où il y a plus d’argent ?
La seule chose que je regrette, c’est de ne plus pouvoir casser le bungalow de Palavas. Sinon, je refoncerais tête baissée. Même mes erreurs m’ont beaucoup apporté, je recommencerai sans hésiter. Plus d’argent n’aurait pas forgé mon expérience et n’aurait donc pas fait celui que je suis aujourd’hui. Car grâce au bmx, j’existe, je m’exprime, je suis quelqu’un : je fais du bmx donc je suis… Tout l’or du monde n’offre pas forcément cette notion d’existence, au contraire, c’est la galère qui m’a tout appris.

Arrives-tu à imaginer ta vie sans avoir connu le bmx en fait ?
Je pense que le bmx m’a sauvé de beaucoup de chose, comme la délinquance, la timidité. Je n’arrive vraiment pas du tout à imaginer ma vie sans le bmx. Tous mes souvenirs sont liés au bmx. Je dois lui tout et j’espère pouvoir en être reconnaissant.

Quel est ton but ?
Boucler la boucle puis acheter une grande maison en Provence pour ma famille. Et, surtout, ouvrir un bar et être barman…

Messages
Toutes mes réponses sont remplies de messages. Néanmoins, toutes les personnes qui ont voulu me faire du mal se retournent aujourd’hui dans leurs tombes : la nature fait très bien les choses, méfiez-vous !
Peace and love…

Remerciements
Tous les bmx riders, tous ceux que j’ai croisé dans ma vie, mes amis, mes ennemis qui me font avancer, ma famille qui a besoin de moi, toute l’équipe de Cream, Manu Sanz, Daniel, David, Artzone, Bérengère, Van Hanja, Antoine, le crew Kustom Culture, les Mexicos, en particulier Lotfi, les Twenty : Alex et Tonton, Vans, Carhartt, Wethepeople, Quamen, les Marseillais : William et le Yo, les Coste bros, Nadir et ma future femme Diane sans oublier Babette qui ronfle… Merci à tous.